Je suis ravie de partager avec vous l’interview que j’ai réalisée d’Estelle Izard pour Jaffichecomplet sur le thème du revenue management en hôtellerie.
Estelle est responsable du revenue management pour la société Clear Channel (affichage extérieur) depuis 3 ans et travaille en revenue management depuis 10 ans. Elle a réalisé la plus grosse partie de sa carrière en hôtellerie de luxe pour la société Marriott. Enfin, Estelle est également présidente du Revenue Management Club, qui réunit trimestriellement les professionnels du Revenue Management en France.
Dans cette interview, Estelle partage :
- sa vision du revenue management
- l’intérêt du revenue management pour un hôtelier indépendant ou un investisseur immobilier
- deux actions à mettre en place immédiatement dans votre activité
- trois erreurs fréquentes à éviter
+ son astuce imparable pour ne pas se tromper quand vous sélectionnez vos concurrents
Peux-tu nous parler de ton parcours en quelques mots.
Je suis un pur produit du Revenue Management. J’ai découvert le Revenue dans mon école de commerce et me suis orientée vers le master spécialisé en « Marketing des Services & Revenue Management » proposé par l’école. (ndlr : ESSCA – Ecole Supérieure des Sciences Commerciales d’Angers)
Ça été une révélation ! J’ai immédiatement aimé l’aspect chiffré et rationnel du métier d’une part, et également le fait que cette expertise soit au croisement de plusieurs métiers. En effet, le Revenue Management est au cœur des enjeux commerciaux, marketing et financiers. Dans notre métier, nous ne faisons pas que regarder les résultats. Nous avons aussi un impact réel et immédiat sur la performance.
J’ai par la suite commencé ma carrière aux Etats Unis où j’ai travaillé pendant quelques années en tant que Revenue Manager pour des hôtels franchisés Marriott, puis Senior Revenue Manager à Paris. Récemment, j’ai quitté le domaine hôtelier pour me pencher sur le Revenue Management de professionnels à professionnels (B2B) au sein de la société Clear Channel, pour laquelle je suis responsable du Revenue Management pour la France.
Comment décrirais-tu le revenue management en hôtellerie pour ceux qui ne le connaissent pas?
Dans sa définition de base, le revenue management a pour rôle de maximiser les revenus d’une activité de service. A mon sens, il faut savoir dans un premier temps prévoir la demande. En fonction de ces prévisions, modifier à la fois la stratégie tarifaire, et la stratégie de gestion de l’inventaire.
Le revenue management est souvent décrié car on lui reproche de faire augmenter les prix de vente en période de forte demande, jusqu’à rendre le prix des services qu’il optimise parfois inaccessible. Mais il ne faut pas oublier que l’avantage majeur du revenue management est surtout qu’il a rendu ces mêmes services accessibles au grand public (ce qui n’était pas le cas dans le passé), et ce notamment grâce à des prix plus bas et à des promotions, en période de faible demande.
Ainsi, tout le travail du revenue manager est de savoir jouer avec cet éventail de tarifs pour capter le maximum de demande.
Pourquoi un investisseur immobilier (en location de courte durée) ou un hôtelier indépendant, devraient se lancer dans une stratégie de revenue management ?
Pour les même raisons que celles qui motivent les grandes entreprises à investir sur ces stratégies. C’est à mon sens le levier le plus efficace – et le plus rapide – pour maximiser son revenu. En effet, les décisions prises ont un impact quasi immédiat sur l’activité, et la méthode agit à la fois sur le court terme, le moyen terme & le long terme.
Une autre motivation réside dans le fait que le revenue management aide à mieux gérer sa visibilité et sa relation avec les sites de vente en ligne (booking, airbnb, expedia, etc). Ce point est vital car en tant qu’hôtelier indépendant ou investisseur immobilier, vous êtes obligés de passer par ces plateformes, mais elles vous coûtent très cher. L’optimisation permet de ne pas abandonner son inventaire à ces sites et d’en tirer le meilleur.
Pour quelqu’un qui n’a jamais fait de revenue management dans son activité : par quoi conseilles-tu de démarrer?
A mon sens, le plus important pour démarrer, c’est de créer un historique de ses données. La base du métier, c’est la prévision de la demande, et on ne peut pas la prévoir sans avoir les données de réservation. La donnée est primordiale ainsi que sa qualité (données correctes), car c’est de là que découle toute la stratégie.
Un autre point important est la segmentation de la clientèle. En réalité, il est inutile dans un premier temps de changer ses prix tous les jours, et d’essayer de faire une stratégie de revenue management très pointue, sans avoir pour base une segmentation solide. Il faut déjà maitriser qui sont nos clients, d’où ils viennent, les segmenter, pour décider ou non de leur donner accès au service, en fonction du niveau de demande.
Quelles sont pour toi les erreurs observables chez les différents acteurs du tourisme français, qui leur font perdre de l’argent?
La première erreur, c’est la façon de considérer l’analyse de la concurrence.
Tout d’abord on a tendance à trop la regarder. Je pense que la concurrence devrait être étudiée après avoir regardé ses propres tendances et sa capacité restante (si le concurrent a baissé ses prix, mais qu’il ne nous reste plus qu’une chambre à vendre, aucune raison de changer ses propres prix !). Et si on ne fait que regarder la concurrence, on se réduit à être un suiveur sur le marché, ce qui n’a parfois aucun sens.
D’autre part, trop d’hôteliers regardent les mauvais concurrents. Il est vrai qu’on peut naturellement avoir tendance à regarder les hôtels géographiquement les plus proches ou ceux qui sont notre « modèle » (car le service y est qualitatif par exemple). Mais il faut toujours comparer ce qui est comparable, notamment en termes de service.
Mon astuce imparable à ce sujet c’est de regarder sur les sites de vente en ligne (notamment Booking & Expedia) quels sont les établissements que nos clients ont également consultés (avant ou après avoir consulté le nôtre). Cela peut parfois être une déception d’être comparé avec un homologue que vous considérez beaucoup moins bon que vous, mais il faut accepter la réalité du terrain : si vous perdez des ventes au profit d’un autre établissement, alors, c’est votre concurrent !
Enfin, la bête noire du revenue management est de faire l’erreur de baisser ses prix en dernière minute. Cette méthode implique des conséquences négatives : habituer le client à attendre la dernière minute pour faire sa réservation. Si vos clients attendent la dernière minute pour réserver, vos prévisions seront de moins bonne qualité, et vos actions liées au pricing ou à l’inventaire seront en conséquence, elles aussi, de moins bonne qualité. Il faut donc limiter les situations de baisse. Il est parfois envisageable de baisser ses prix en dernière minute, en cas de problématique imprévue : par exemple une annulation très tardive (annulation d’un groupe pour un hôtel).
Qu’est-ce que tu réponds aux personnes qui pensent qu’il faut être bon en math pour faire du revenue management ?
Il faut avoir une certaine affinité avec les chiffres c’est vrai, mais inutile d’être mathématicien. L’ensemble des formules utilisées restent souvent basiques. En revanche, on utilise beaucoup Excel. Il vaut donc mieux suivre une formation sur Excel, qu’une formation en math. Dans notre métier, aucun calcul ne se fait à la main, tout est calculé par Excel, il faut donc être capable de comprendre les formules, mais pas d’avoir des connaissances statistiques très poussées.
D’ailleurs, la plupart des Revenue Managers sont issus du terrain (réception, réservations), ou bien d’écoles de commerce ou d’écoles hôtelières. Peu souvent d’écoles d’ingénieur !
Qu’est ce que tu aurais aimé savoir quand tu as démarré ta carrière en revenue management, que tu sais aujourd’hui?
J’aurai voulu prendre plus amplement la mesure de la difficulté d’équilibrer :
- d’une part la maximisation du revenue à court et moyen terme
- avec d’autre part la nécessité de maintenir et accroitre la fidélité et la satisfaction client
Les clients ont tendance à réclamer des prix plus bas ou des chambres gratuites au moindre souci. Il faut savoir dire non quand c’est nécessaire, mais également savoir être flexible à d’autres moments. Car en sacrifiant un peu de revenu court-terme, on s’assure parfois un revenu à long terme.
Par ailleurs il y a également tout un aspect très commercial lié au prix : dès lors qu’on change un prix, il faut s’assurer qu’il est le même sur tous les canaux de distribution. Et s’assurer également que l’on n’a pas mis le prix public à un niveau inférieur à certains prix négociés (prix entreprise par exemple). En Revenue Management, il faut savoir mettre en valeur son produit et son entreprise à travers les prix et les promotions que l’on propose, donc être marketeur aussi.
Enfin, si tu devais partager ton truc ultime, ton astuce revenue management préférée pour maximiser le chiffre d’affaires, qu’est ce que ça serait?
J’aime particulièrement utiliser le levier de l’overbooking (sur-réservations). C’est un levier très puissant du Revenue Management qu’il faut savoir utiliser avec précision pour ne pas dégrader la satisfaction client. Il faut connaître la limite, et c’est l’expérience qui guide.
Pour un hôtelier qui démarre, avant d’en faire, assurez-vous d’avoir des concurrents ‘partenaires’ potentiels, pour reloger les clients qui pourraient se retrouver sans chambre chez vous. Il faut évidemment débuter avec un nombre faible de chambres overbookées (sur-réservation). Enfin, sans données historiques sur le niveau d’annulations que vous subissez, ou le nombre de clients qui ne se présentent pas le soir même, vous ne pouvez pas utiliser ce levier, il faut donc suivre cette donnée pour créer un historique.
Je remercie chaleureusement Estelle pour le temps accordé et les éclairages interessants qu’elle apporte.
Si vous souhaitez lui poser des questions, n’hésitez pas à les écrire en commentaires. Je les lui poserai et retranscrirai ses réponses.